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Valentine Chatel : "l'homme peut encore réguler le réchauffement..."

Valentine CHATEL est ingénieure météorologue à Météo-France. Elle était présente à la journée de sensibilisation à l'adaptation au changement climatique, le 5 décembre de Nogent-sur-Oise où elle intervenait. Dans sa conférence : "la pluviométrie va-t-elle changer sur le bassin versant de l'Oise ?", elle a indiqué qu'il y avait moins de précipitations l'été et plus l'hiver qu'auparavant et que ces modifications avaient des impacts sur la gestion de la ressource en eau. Interview.

 

D’après votre exposé, les trois dernières décennies ont été les plus chaudes jamais enregistrées depuis 1850. 2017 est bien partie pour être une année remarquable. Qu’est-ce qui prouve que cela n’est pas simplement une histoire de cycles climatiques ?

Il existe un équilibre entre d'une part le rayonnement reçu (émis par le soleil) et d'autre part la température de la Terre et le rayonnement (infra-rouge) émis par la Terre. Cet équilibre peut être modifié par des activités naturelles (soleil, volcanisme, circulation des océans ...) ou par des activités humaines (émissions de gaz à effet de serre). En prenant en compte uniquement les activités naturelles, il n'est pas possible d'expliquer, avec nos modèles numériques, la température actuelle de la Terre. Grâce à ces modèles, le climat passé a été simulé et comparé aux observations. Seule l'intégration des gaz à effet de serre anthropiques (liés aux activités humaines) permet de faire correspondre les données simulées et les données observées.

 

Le réchauffement moyen annuel est de 0,31 degrés par décennie sur la période 1959–2009, quelles seront les conséquences de ce réchauffement selon vous ? Y a-t-il un point de non-retour ? Ou un moment où les températures se stabiliseront ?

Avant de répondre à la question, je préfère préciser que la valeur 0,31 degrés correspond au réchauffement moyen annuel enregistré sur la France uniquement. Météo-France s’affaire davantage à diagnostiquer le changement climatique que ses conséquences, néanmoins, une augmentation de la température agit par exemple sur la biodiversité (impact sur les écosystèmes) et sur le secteur agricole (augmentation de l'irrigation, modification des rendements).

Que ce soit en ville, à la campagne, en montagne ou sur le littoral, les conséquences du changement climatique sont évidentes. Par exemple, les semis de blé en Lorraine sont effectués un mois plus tôt qu'en 1970, les vendanges ont été avancées de plusieurs semaines, les massifs montagneux perdent en manteau neigeux, l'érosion côtière est déjà une conséquence irréversible notamment sur la façade ouest. A grande échelle, la fonte totale de la banquise ou du pergélisol (terme géologique qui désigne un sol dont la température se maintient en dessous de 0°C pendant plus de deux ans consécutifs) seraient des points de non-retour.

Tant qu'il y aura un déséquilibre entre le rayonnement reçu par le soleil et la température de la Terre et le rayonnement émis par la Terre, il y aura des fluctuations de températures. Physiquement, la température peut toujours augmenter. Si la concentration des gaz à émissions présente dans l'atmosphère se stabilise, alors la température moyenne globale se stabilisera.

Il faut savoir aussi que l'inertie du système climatique est telle qu'il faut agir maintenant pour espérer des impacts favorables sur la deuxième moitié du 21ème siècle.

 

Vous dites qu’il n’y a pas d’évolution significative des précipitations à l’échelle de la France, même si des différences régionales apparaissent (quarts nord-est et sud-est), qu’est-ce que cela démontre ? Est-ce encourageant ?

La France est fortement contrastée en termes de précipitations, on retrouve d'ailleurs cette séparation nord-sud sur toute l'Europe. A l'échelle de l'année, il n'y a pas d'évolution significative à l'échelle de la France, mais sur la période 1959–2009, on constate tout de même des évolutions à l'échelle de la saison : il y a globalement moins de précipitations l'été et plus l'hiver. Ces modifications ont des impacts sur la gestion de la ressource en eau.

 

Toujours d’après vos dires, un réchauffement autour de 2 degrés est possible si des mesures sont prises ; si ce n’est pas le cas il sera de 2,6 à 4,8 degrés aux alentours de 2050. Quelle est votre conviction sur ce sujet ? Etes-vous plutôt optimiste ou vraiment inquiète ?

En préambule, je tiens à souligner que nous sommes encore maitres de notre destin. Météo-France pose un diagnostic sur le climat passé et élabore également des projections climatiques régionales en intégrant plusieurs scénarios liés au taux d'émission de gaz à effet de serre, ce qui permet de quantifier par exemple quelle sera l'augmentation de la température à horizon 2050 ou 2100 sur un territoire. Cette valeur fluctue donc en fonction du scénario choisi ce qui indique que l'Homme peut encore réguler ce réchauffement atténuant sa production de gaz à effet de serre.

Beaucoup d'engagements sont pris à différents niveaux (mondiaux : accord de Paris, nationaux : plan climat et même locaux : plan climat air énergie territorial). Il y a une prise de conscience globale pour atténuer l’émission de gaz à effet de serre et adapter nos infrastructures aux évolutions du climat. La majorité des décisions prises va dans le sens d'un réchauffement inférieur à 2 degrés pour la période 2081–2100.