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Tirer les enseignements de la crise du Coronavirus #3

Nous profitons du télétravail pour observer l’évolution de la crise qui secoue la planète, avec la déformation de notre œil de gestionnaire du risque d’inondation. Faute de repère sur des gestions de crises d’inondation de grande ampleur, nous sommes preneurs de toute observation transposable à notre métier en vue de mieux se préparer pour un tel sinistre.

En aucun cas nous ne portons d’avis sur les choix effectués. Nous nous contentons d’observer la façon dont les pouvoirs publics gèrent, comment la société s’adapte et comment la population réagit.

Le second constat porte — nous ne pouvons pas y échapper — sur la pénurie de masques. Il apparaît que, suite au risque de grippe aviaire de 2005, la France s’est constituée progressivement des stocks de masques qui ont été maintenus au plus haut jusqu’en 2013, date à partir de laquelle la gestion des stocks a été décentralisée dans les hôpitaux qui ont subi, comme tous, des pressions financières de sorte qu’au démarrage de la crise qui nous occupe, les stocks sont au plus bas et, comme on le savait depuis 2005, les pays producteurs de masques se servent prioritairement avant de songer à honorer des commandes internationales. Nous renvoyons sur cet article de synthèse de France Inter qui récapitule 15 ans d’histoire en la matière.

Quand bien même la France aurait disposé de masques en quantité suffisante dès le début de la crise sur notre territoire, il aurait bien fallu prévoir un réapprovisionnement continu : la consommation hebdomadaire des seuls soignants (dès lors qu’ils seraient dotés de masques) vient à bout très rapidement de tout stock stratégique. Et la fin du confinement ira de pair avec la capacité de la France à pouvoir traiter par voie médicamenteuse les malades, donc la capacité à tester la population en masse, et limiter la propagation du virus tout en redonnant une liberté de mouvement par la distribution de masques, non pas au seul corps médical mais bien à l’ensemble de la population. Très clairement nous n’avons pas cette capacité de production sur le territoire national et nous ne maîtrisons pas le flux d’approvisionnement venant de l’étranger.

Ainsi, nous pouvons conclure de cette courte analyse que la gestion des masques repose d’une part sur un stock permanent (les plus anciens masques étant injectés dans les circuits tandis que les nouveaux achats rejoignent ledit stock), dit "stock tampon", et une capacité à produire en masse en cas de pandémie, cette capacité devant être souveraine pour ne pas être tributaire de la compétition entre producteurs et clients, tous concernés au même moment. Quelques exemples de ci de là montrent que l’outil industriel peut s’adapter, les machines à coudre de toute la France n’étant plus consacrées qu’au façonnage de tissus qui, hélas, ne respectent pas les niveaux de filtre adéquats — mais c’est mieux que rien. Une voie d’amélioration sera d’identifier des industries qui peuvent, avec peu de modification de leur outil de travail, basculer dans la production de masques homologués. Un conventionnement pour maintenir cette capacité et une réquisition le moment venu, répondent à la seconde exigence : outre d'un stock tampon, la France doit disposer d’une capacité à générer le flux.

En cas de crue d’un grand fleuve, nous serons confrontés à des problématiques similaires. Par exemple, une forte crue du bassin de la Seine va noyer tranquillement un à deux millions de compteurs électriques. Et sans compteur, pas d’électricité. Dans l’attente d’un nouveau compteur, le logement est inhabitable, l’activité économique est à l’arrêt, ce qui prolonge d’autant le préjudice de la crue (c’est le fameux objectif de réduction du délai de retour à la normale de la Stratégie nationale de gestion du risque d’inondation).

Et pour changer le compteur, il faut avoir du stock. Aujourd’hui, Enedis s’emploie à changer 35 millions de compteurs en France pour installer le célèbre Linky. Et ça lui prend environ 6 ans dans des conditions de déploiement renforcées : hormis cette mise à niveau, les renouvellements de compteurs sont minimes et les stocks adaptés en conséquence. Ainsi, le renouvellement d’un à deux millions de compteurs à la décrue prendra plusieurs mois, même avec la meilleure motivation. Mais la question du flux se posera aussi : le stock tampon n’est sans doute pas suffisant et la production ne peut s’emballer : en 2014, les trois premiers millions de compteurs étaient commandés à six entreprises différentes : deux françaises, une américaine, une suisse, une allemande et une espagnole, laissant penser que la répartition sur autant d’attributaires est la conséquence de faibles capacités de production.

De notre point de vue, chaque "crise" (sanitaire, inondation, séisme, etc.) conduit, outre à des drames, à des carences et pour y répondre, il convient de les identifier et préparer la riposte. Ca passe par la gestion de stocks tampons et l’identification de capacités à générer du flux éventuellement soutenu en tant que de besoin. Le cas échéant, une adaptation de l’outil industriel de certains, sous convention permanente et par réquisition le moment venu, permet d’assurer ce flux. Encore faut-il l’avoir préparé.

... et retrouvez la chronologie de ces billets :

#1 : introduction

#2 : le timing de l'annonce

#3 : le stock tampon et le flux de production

#4 : l'analyse coût bénéfice