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Appilly : plus de peur que de mal

Siphon de Manicamp.
Siphon de Manicamp.

Les fêtes de fin d’année ont été marquées par un épisode pluvieux important sur le bassin Oise amont, avec 39 mm de pluies annoncés sur la seule journée du 23 décembre à Hirson (02). A la même période, la commune d’Appilly (60) a connu un épisode similaire, aggravé par la crue de l’Oise suite aux fortes pluviométries en tête de bassin. Comme en février-mars 2020, les eaux stagnent et peinent à ressuyer ; mais dans des proportions moindres cette fois-ci (un garage et quelques caves inondées, plusieurs routes barrées). Le pic de crue relevé à Condren, près de Chauny (02) a mis ainsi une semaine pour atteindre Sempigny près de Noyon (60), ce qui explique la persistance de la situation.

La tension reste palpable dans la commune d’Appilly parmi les habitants au regard du traumatisme subi l’année dernière. Face à cela, les élus, les services de l’Etat et l’Entente Oise-Aisne poursuivent leur mobilisation et les échanges ont été nombreux ces derniers jours pour évoquer les différentes problématiques – et notamment les contraintes légales à prendre en compte dans la recherche des solutions à court et long terme. L’Entente se rend très régulièrement sur le terrain et poursuit son étude, qu’elle compte restituer fin février. De nombreuses interrogations de la part des habitants subsistent sur le fait que la vanne du siphon, situé sous le canal latéral à l’Oise à Manicamp, ne puisse plus être manœuvrée au regard de la loi. Ils demandent à fermer cette vanne, pour limiter les flux vers la commune, déjà tributaire des apports du ru de Grandru. Cependant, la fermeture de la vanne reviendrait à priver du champ d’expansion naturel des crues un important volume, ce qui obligerait, conformément à la Loi sur l’eau, à compenser le volume colossal soustrait à l’expansion naturelle des crues – impossible à trouver sur de telles quantités d’eau (pour aller plus loin, voir notre précédent billet). En outre, cette mesure, si l’on peut lui reconnaitre une certaine efficacité à court terme, peut devenir préjudiciable si l’épisode est durable et conséquent : l’eau accumulée du côté d’Abbécourt pourrait dépasser la cote de l’Oise et, de fait, causer des dommages encore plus importants à Appilly.

Ce jour, les niveaux observés de part et d’autre du siphon sont identiques et l’eau est étale (pas de débit ni dans un sens ni dans l’autre dans le siphon). La météo des prochains jours est favorable et le ressuyage de la crue devrait se poursuivre. Mais les échanges entre services continuent dans la perspective de devoir affronter de nouveaux épisodes d’ici la fin de l’hiver.

Particulièrement sollicité face à ce nouvel épisode, Jean-Michel Cornet, directeur de l'Entente, répond à nos questions.

 

Entente Oise Aisne : Appilly est à nouveau inondé, 9 mois après le douloureux épisode de février mars 2020. Pourquoi une telle récurrence tandis que la commune n'avait pas subi de problèmes majeurs depuis de nombreuses années ?

Jean-Michel Cornet : Chaque année, l'hiver est plus ou moins arrosé et génère des crues d'une ampleur très variable. Toutefois, le bas du village d'Appilly se situe à une cote très basse au regard des niveaux atteints par les crues de l'Oise et s'avère être fréquemment inondable. Jusqu'à un passé récent, les vannes du siphon de Manicamp étaient manoeuvrées et, en fermant ce passage sous le canal, toute la partie nord de la vallée était exonérée des petites crues. Un arrêté préfectoral de 2012 a clarifié la gestion de ces vannes qui doivent rester ouvertes en cas de crue de l'Oise. Le respect de cette prescription rend la protection par le canal inopérante et remet, de fait, Appilly en zone inondable.

 

EOA : alors pourquoi un tel arrêté ? la solution pour Appilly semble évidente et la population la réclame...

JMC : L'arrêté préfectoral de 2012 relève de la stricte application de la Loi sur l'eau de 1992. Celle-ci n'interdit pas de se protéger (heureusement), elle exige que toute protection, qui réduit le champ d'expansion naturelle des crues, fasse l'objet d'une compensation : le volume d'eau de crue qui ne va plus dans la zone protégée doit pouvoir être relocalisé ailleurs, faute de quoi il exhaussera le niveau général de la crue au détriment des populations qui ne se sont pas protégées. C'est donc un principe d'équité. Or le canal latéral à l'Oise n'a pas été conçu pour protéger une partie de la vallée, et heureusement, car sinon il soustrairait environ 5000 hectares de champ d'expansion naturelle des crues sur l'ensemble de son linéaire, avec des impacts importants sur les niveaux d'inondations. Seuls quelques biefs protègent (dans une certaine mesure), notamment à Chauny.

Si nous devions envisager une régularisation administrative de la gestion des vannes du siphon, nous devrions trouver un volume colossal en compensation, dans une vallée par ailleurs préservée et à haute valeur environnementale — notamment due à son caractère fréquemment et durablement inondable. Voici sur une carte la zone "protégée" des crues si le siphon est fermé, c'est sur une surface comparable qu'il nous faudrait élargir la vallée dans sa partie sud. C'est clairement impossible.

C'est d'ailleurs pour cette raison que les protections sont toujours envisagées au plus près des enjeux. Ceci limite le volume de compensation à trouver qui reste en général la contrainte la plus forte d'un projet.

S'agissant du siphon de Manicamp, je signale en outre qu'il assure le passage du contre-fossé sous le canal pour que les eaux apportées par différents cours d'eau entre Chauny et Manicamp rejoignent l'Oise. Si l'on ferme les vannes, l'eau de l'Oise en crue ne remonte plus mais les eaux du contre-fossé s'accumulent. Sur un épisode de crue d'une durée de plusieurs semaines comme l'hiver dernier, la fermeture des vannes n'était pas la solution, les eaux accumulées auraient assez vite atteint une cote supérieure à celle de l'Oise, causant plus de dégâts encore.

 

EOA : Alors, que faire pour Appilly ?

JMC : Comme je l'ai présenté lors d'une réunion rassemblant l'ensemble des parties prenantes sur ce sujet, le 10 septembre 2020, Appilly subit les inondations de l'Oise mais aussi les débordements du ru de Grandru qui vient de Grandru et Mondescourt, et traverse une partie du village en réseau enterré. Son débouché au contre-fossé conduit lui aussi à une saturation. L'Entente Oise Aisne, qui a reçu la compétence de "prévention des inondations", tant de la Communauté de communes du pays noyonnais (pour Appilly) que de la Communauté d'agglomération de Chauny Tergnier La Fère (pour Manicamp), a été mandatée par les préfets de l'Oise et de l'Aisne pour rechercher et proposer des solutions. J'y travaille avec mon équipe et je présenterai aux mêmes acteurs mes conclusions fin février. Nous proposerons d'agir sur différents leviers, dont la protection, mais certainement pas en s'appuyant sur le canal via une gestion du siphon de Manicamp pour les raisons évoquées plus haut. Je proposerai, entre autres, une protection au plus près des enjeux pour limiter le volume de compensation. Je tiens d'ailleurs à souligner l'accompagnement très constructif du Conservatoire des espaces naturels de Picardie, très bon connaisseur du territoire, pour l'identification de terrains pouvant se prêter à la compensation et la recherche de projets permettant de valoriser ces mesures compensatoires d'un point de vue environnemental.

 

EOA : si les propositions sont formulées fin février (à la fin de l'hiver), quand les travaux seront-ils réalisés ? Ca urge...

JMC : Vous aurez compris que l'Entente recherche des solutions autorisables. Ceci suppose des études préalables suivies d'une procédure d'autorisation qui passe par des enquêtes publiques. Ceci prend du temps, beaucoup de temps.

Toutefois, j'atteste que tous les acteurs — élus, collectivités, services de l'Etat, Préfecture — me pressent de trouver des solutions, y compris à très court terme et dans l'attente d'un dispositif pérenne. Je dois faire très vite des propositions, sachant que les travaux d'urgence sont eux aussi autorisables, selon une procédure accélérée, mais doivent respecter les mêmes principes et notamment la Loi sur l'eau. Je souhaite pour conclure assurer la population de la mobilisation de tous, qui ne se voit pas encore concrètement sur le terrain, mais débouchera, je l'espère, vers des actions opérationnelles de court terme, dès lors qu'une prochaine crue serait annoncée.